« Cerise est et a toujours été une fille super. Elle est drôle, ouverte et gentille, pas du tout sérieuse, et puis il faut le dire ; elle est jolie. Elle n'est pas le genre à se soucier de la vie - future, présente, antérieure - pour un sou. Oh, il y a bien sur des choses sur lesquelles elle se pose des questions. Tenez par exemple : le nombre de langue qu'elle sait à peu près parler (il y en a beaucoup !) ; la cicatrice qu'elle a dans le dos, enfin a peu près sur le dos. Elle ne se souvient pas comment ni et quand elle se l'est faite et, oh, bien sur elle aimerait savoir mais elle va pas non plus se faire dessus pour ça, ou stresser seule dans son lit. Pareil, pour les planches de surf qui envahissent sa chambre : a Santa Fe, faire du surf, à part dans la piscine ça va être un peu dur hein. Il n'empêche que d'aussi loin que je me souvienne elle - et toute sa famille d'ailleurs - ont toujours été mordus de glisse. Elle est douée, enfin je ne m'y connais pas, mais je trouve qu'elle est vraiment vraiment vraiment douée. Ses parents sont super cool, son frère aussi, mais ils se cherchent des poux à longueur de journée (de mois, d'années, tout ce que vous voulez). Elle est optimiste la petite Cerise, et toujours joyeuse. Elle parle beaucoup aussi, et ça par contre c'est un peu chiant. Elle a 21 ans, elle va à l'université et elle étudie... oh, je ne sais plus. Elle a une vie tout à fait normale en fait : le matin elle se lève, elle mange, elle file en cours. Après elle s'occupe comme une jeune fille de son âge. Je sais aussi qu'elle sort souvent, et souvent elle rentre bourrée. Elle n'est pas très raisonnable vous voyez, la petite Cerise. Il y a des rumeurs qu'elle serait enceinte d'un garçon du coin, la chose se serait faite pendant une soirée bien arrosée. Mais elle m'a assuré que c'était absolument faux, et que à son âge la dernière chose qu'elle voulait c'était bien de tomber enceinte. D'ailleurs ce garçon, Tom je crois, on les voit souvent ensemble. Et mon petit doigt me dit qu'ils ne sont pas indifférent l'un de l'autre. Je sais que Loyan - le frère de Cerise - ne voit pas ça d'un œil très gentil (remarque, pour un grand frère il ne voit rien de ce que fait sa sœur d'un œil gentil) et au fond, il a raison. Ils se cherchent l'un l'autre, mais parallèlement, ils fricotent avec d'autres. Quand on leur demande ils disent que "Oh ! Non, Cerise / Tom, c'est juste un(e) ami(e), on rigole bien ensemble." Certain pensent qu'ils sont tous simplement meilleurs amis, d'autres chuchotent qu'ils ne veulent pas avouer qu'ils s'aiment puisqu'ils ne veulent pas s'attacher. D'un côté, personne ne voudrait les voir ensemble : Cerise, c'est LA jolie fille qu'on a envie d'avoir, d'embrasser, de hum, baiser enfin voilà, et Tom c'est son égal masculin. C'est vrai, que même à mon âge je peux dire que c'est un très joli garçon. Voilà, la vie de notre petite Cerise, notre petit rayon de bonheur dans le quartier est tout à fait normale. C'est la vie de n'importe qui, vous voyez, la vie qu'on voudrait tous avoir ; sans stress, sans soucis d'argent ni d'amour ni familiaux, sans... sans problèmes. C'est tout. »

"Donne moi ton murray Cerise." La petite fille leva les yeux vers son père. Elle frotta ses yeux irrités par le sel avant de se redresser. "On part déjà ?" Papa eut un sourire et lui tendit la main. "Non, tu va voir." Cerise saisit la grosse mains de papa et se leva. L'homme détacha le leach du poignet de sa fille avant de l'entrainer vers la plage. Le sable était très chaud, et puis aussi très fin. Il y avait des petits cailloux et des tout petits coquillages. Un peu partout, des hommes et des femmes de tout âge se faisaient bronzer au soleil. C'était une belle journée d'été. Lorsque maman vit que sa cadette marchait vers leur parasol bleu, elle se leva et alla chercher Loyan dans l'eau. Loyan, c'était le grand frère. Il avait 6 ans, bientôt 7 soit deux de plus que sa petite soeur qui en avait 4. En fait c'était la journée la plus banale qui soit d'un mois de juillet à Bali. Cerise était née ici, avait grandi ici, avait commencé le body-board ici, et comptais passer encore de longue années tranquilles ici. Papa portait le murray sous son bras immense, tandis que de l'autre il serrait sa fille vers lui. Cerise le trouvait bien joyeux, tout comme maman. Mais elle trouvait très bizarre qu'on force Loyan à rester sur la plage. Elle ne s'entendait pas vraiment bien avec son aîné, puisqu'il se comparait tout le temps à elle. Cerise elle peut faire ci, Cerise elle peut faire ça, quand j'avais son âge je pouvais pas et bla bla bla. Dans la famille, tout le monde surfait, son grand frère aussi. Il n'y avait qu'elle qui était encore à faire du murray parce qu'elle n'avait que quatre ans. A 3 ans presque et demi elle savait nager et aller profond dans la piscine. un peu avant ses quatre ans elle se frottait au body-board dans les mousses. A quatre ans, elle allait un peu plus loin mais toujours sous la surveillance de papa ou maman. Et pour être honnête, elle ne se débrouillait pas mal du tout. En même temps, elle allait à la plage presque tout les jours. Sinon, il y avait leur piscine. Une fois arrivé près du parasol bleu, papa posa la petite planche sur le sol près de Loyan qui ne faisait même pas la tête. "Cerise, on est allé acheter une nouvelle planche à ton frère hier, dans le centre." dit papa. "Et il y avait une réduction sur les planches en mousses." poursuivit Loyan. Cerise leur jeta un regard patient."Alors bon, si elle ne te plaît pas, on peut toujours la rendre." acheva maman. En disant cela, elle retira la serviette rayé qui masquait une petite planche de surf en mousse. Cerise poussa un cri de joie. Trop ouf malade quoi.


"Cerise, tu te bouges oui ?" cria Loyan de l'autre côté de la porte. "Ça va, ça va, j'y suis !" La jeune fille ouvrit la porte de sa chambre et sortit. Loyan se tenait devant elle, le visage fermé, une serviette sous le bras. Elle lui adressa un sourire grimaçant et disparu dans l'escalier. Le garçon la suivit en grommelant, qu'ils allaient être en retard, qu'ils allaient la rater et bla bla bla. Heureusement qu'il avait mis les planches sur le scooter la veille. Encore un peu et il se remerciait lui même, tient. Papa et maman n'étaient pas là, ils devaient faire les courses où autre chose du genre. Sur le seuil, Cerise attendait la clef de la maison à la main. "Non mais vraiment, t'as l'air supeeeeer content de surfer Belharra !" ironisa t-elle. Son frère lui adressa un geste obscène du doigt. Belharra ? Belharra, c'est qui ça. Elle est connue pourtant, et ce n'est ni une actrice ni une chanteuse, ni autre chose du genre. Non. Non, c'est une vague. Une vague de parfois 15 mètres de haut, au large de St Jean de Luz dans le Pays Basque. Elle passe plusieurs fois par ans en fait, mais il faut avoir un niveau carrément ouf malade pour la surfer. Parce que sinon, ben sinon en fait, tu meurs. Cerise et Loyan étaient en France depuis neuf mois, après voyagé aux quatre coins du monde, et surfaient depuis tout petits. Leurs parents étaient des mordus, eux même étaient des mordus, et ils espéraient que leur enfants seraient des mordus. Et puis leur conjoint aussi, en passant. Si Loyan était un peu plus doué que sa cadette, ils avaient tout les deux un niveau de ouf malade justement. La competition, les sponsors, tout ça ça les connaissaient. Et ils espéraient en avoir encore pour un long moment. Voilà, ils espéraient et comptaient faire du surf un élément majeur de leur vie future. Le voyage jusqu'à St Jean ne fut pas si long qu'aurait cru la jeune fille, puisqu'ils venaient d'Hossegor. Ou alors était-ce l'excitation, l'appréhension même, du moment à venir. Ils étaient une bande de 10, mais seuls 5 surferaient. Qu'est ce qu'ils foutaient là les autres alors ? Ils vont se foutre en plein milieu de la vague ou comment ça se passe ? Non non non, en fait, Balharra est tellement puissante et puis loin qu'on doit se faire tracter en jet-ski. Remarque, c'est bien qu'elle soit loin, qu'elle casse loin et tout. Sinon, ça s'appellerait un Tsunami. Allez hop, on se bouge les chameaux. Loyan, il ne dit rien, il regarde. Cerise, elle parle trop, mais au moins elle sait détendre elle. Vous savez, aucun des deux n'avait peur, c'est juste que enfin voilà quoi. "Cerise, tu passes première !" cria quelqu'un. La surfeuse haussa les sourcils de surprise. Comme elle était la plus jeune, on avait l'habitude de la mettre en dernière. Et là, quand ils avaient l'occasion de surfer la plus grosse vague de la saison, du pays basque, et ben on la faisait passer devant. Mais où était la blague ? L'onde arrivait à toute vitesse. Et puis là, Cerise lâcha le jet. Et puis là, elle sentit l'onde propulser sa planche. Et puis là elle sentit la vague se dresser au dessus d'elle, se briser dans son dos. Sauf que non, non non non et non, ça c'est trop facile. Le leach se tendit brusquement, et Cerise sentit son pied glisser vers l'arrière. Dieu seul sait comment elle a pu ne pas tomber. Par contre, elle avait perdu de la vitesse, alors que la vague en gagnait. Elle balança ses bras en avant et son buste aussi, mais le leach - toujours coincé dans la dérive - la fit glisser vers l'arrière. Elle entendit Loyan lui hurler de se décaler, elle vit un jet foncer vers elle. Et puis là, elle tomba. D'abord sur la board puis dans l'eau. "CERISE, BORDEL !" hurla Loyan. Il lacha le jet, plongea dans l'eau. Les autres criaient, c'était carrément dément. Le leach lui brulait la cheville et l'eau salée lui brulait les yeux mais merde quoi, sa sœur risquait de se noyer. Deux hélicoptères descendaient déjà vers la planche vide de la jeune fille. Et puis là, la deuxième vague de la session. Personne ne l'avait vu venir la salope, tout le monde était bien trop occupé à regarder Cerise couler et son frère qui tentait de la remonter. La vague se brisa juste sur eux, Loyan s'enfonça très profond. Il sentit la dérive s'enfoncer dans son torse. Puis plus rien.


"Non, non Axel on ne risque certainement pas de rester ici !" cria Carole. Elle poussa son mari vers le mur et lui adressa un regard dur, un peu suppliant quand même. D'un geste doux il retira les mains de sa femme de son torse et les serra dans les sienne. Maman tremblait comme une feuille, elle avait presque les larmes aux yeux. Mais elle semblait passablement en colère et nerveuse. Lui en revanche demeurait le papa surfeur qui ne parle plus quand il n'y a pas de vague. Un peu comme ses enfants, enfin avant. Pour l'heure, ils ne parlaient plus. "Écoute, on est là depuis même pas un an. n ne va quand même pas..." commença t-il. "Partir maintenant ? Mais bordel Axel, tu ne comprends rien ! Il est absolument hors de question que mes enfants remonte sur une planche, et à Hossegor justement, tout le monde surfe. Non, non je ne resterais pas." elle s'interrompit un instant. "Et si... et si tu ne peux vraiment pas te résoudre à abandonner le surf, alors c'est moi qui part, avec Loyan et Cerise." Papa resta un moment silencieux, les mains serrant toujours celle de sa femme. Le surf, bien sur qu'il pouvait l'abandonner, bien sur, pour ses enfants il le ferait. Mais ses enfants justement, voudraient-ils ? Ils avaient toujours vécu près de la mer, c'était presque s'ils n'exigeaient pas de dormir sur leur planche. Ils possédaient à eux quatre une collection de board, paddle, kite, murray juste énorme "Carole, la question c'est pas moi tu sais. C'est eux la question. Tu peux pas leur imposer de vivre en pleine ville sans mer ni rien, et puis sans - excuse moi hein - le surf." La femme retira ses doigts des paumes chaudes de son homme. Elle passa sur son visage une main tremblante. "Mais merde quoi ! Merde, merde, merde ! J'ai faillit perdre mes deux enfants, mes deux uniques enfants dans un accident de surf. Et après ça, il faudrait que je les laisse remonter sur une planche sans rien dire, c'est ça le truc, c'est ça ?" Axel serra les dents et agrippa les épaules de son épouse. "C'est pas ça le problème putain, c'est pas ça le problème ! Le problème c'est où on va aller, merde quoi ! Tu vas me sortir quoi, Paris, Tokyo, Berlin ?" Carole se calma brusquement. "Santa Fe, Nouveau Mexique. La tante de ma tante vient de mourir, elle a légué la maison à ma tante, qui me la prête. Maison, grande, avec piscine et jardin." Axel haussa les sourcils. "On peut prendre la collection de planche alors." Carole s'emporta de nouveau. "Pour qu'ils remontent dessus dès qu'ils seront remis ? Mais tu es complétement... complétement malade mon pauvre !" Papa passa une main dans ses cheveux en désordre et secoua un peu maman. "Et où tu veux qu'ils surfent hein ? Tu m'expliques ? Sur le bitume, dans la piscine peut-être aussi hein !" Carole ouvrit la bouche, comme si elle allait répondre. Puis elle la referma et détourna les yeux. Puis elle la rouvrit de nouveau. De toute façon, il avait raison, à quoi bon lui refuser ? Elle leva les yeux vers lui et s'apprêta à dire "oui" mais il fallut qu'une infirmière passe la tête dans le couloir. "Hum hum. Excusez moi, mais vous pourriez faire un peu moins de bruit ? Où sortez sinon, ça serait pas mal aussi hein ?" Et voilà, le sujet est clos, on reprend tout de zéro.