Personne ne peut dire qu'il a vécu l'enfer avant de venir travailler au Wal-Mart, un samedi, dans la section électronique. Devoir ouvrir des présentoirs pour des enfants trop gâtés pleurant pour avoir le dernier jeux vidéo à la mode au plus vite, comme si c'était une question de vie ou de mort. Être forcé de passer à la caisse des jeunes femmes toutes énervée de la sortie de l'album d'une chanteuse pop auto-tunée. Aider des vieilles dames a comprendre le fonctionnement de leur télévision. La joie. Je comptais les secondes avant ma pause, et durant celle ci, je comptais l'argent que j'aillais recevoir, à la fin de la semaine, comme récompense de l'aliénation que je vivais, jours après jours. C'était le prix a payer pour ma liberté; quitter la maison de mon père, avoir mon appartement, a moi, pouvoir sortir ma mère de ce trou et vivre, comme avant. Selon mes calculs, je devais encore donner un an de ma vie à cette compagnie de merde, avant de pouvoir espérer mieux, par exemple, un petit resto ou un truc du genre, un endroit où l'on fait semblant de travailler, où nos collègues n'ont pas entre 60 et 80 ans, et où les clients sont un minimum autonomes. Je rêvais d'une boulangerie, ou je boufferais du pain, tout l'après midi, attendant que quelqu'un ose se pointer; D'un bar calme, en plein jour, quand il n'y a que des grands-pères saouls qui racontent des blagues grivoises et déplacées; ou encore d'un salon mortuaire, où je pourrais juste me fondre dans la foule de fumeurs à l'entrée, leur souhaitant un deuil facile, et tout de même voir mon compte en banque se remplir. Mais eh, les rêves ne sont pas fait pour se réaliser comme ça, d'un coup, comme disait ma mère : il faut d'abord apprendre à éviter les cauchemars.

Huit minutes 38 secondes, et j'allais pouvoir profiter de ma première pause, enfin. Aller dehors, allumer une clope, et m'évader, pour quelques secondes, des bips des caisses, des appels à l'intercom, et du capitalisme. J'allais avoir 15 minutes pour respirer; pour bavarder avec mes collègues, tout aussi dégoutés de l'environnement de travail que moi, puis, je devrais rentrer, me faire dire bonjour par la vieille Shella, la préposée a l'accueil et lui lancer un sourire compatissant. Je ne voulais pas finir comme ça. Sorti de retraite pour causes monétaires, et devoir retourner au bas de l'échelle, poussant des panier à des clients désintéressés dans un temple de la consommation.

En attendant, je devais aider une mère de famille à trouver le dernier album de...« Un groupe, ils font de la musique... la chanteuse a des cheveux colorés... Ma fille le veut, pour son anniversaire. » les gens avaient le mérite d'être très clairs dans leurs demandes. Heureusement que la sélection musicale du Wal-Mart était assez médiocre, sinon, j'aurais pu avoir plus de mal. Nous n'avions que des groupes très commercialisés; ça réduisait l'échantillon. Puis avec une fille au micro, on réduisait encore.... et avec les cheveux colorés; ça devait être du Paramore. Je fouillai dans l'étalage; il y avait quelques cds... Je n'allais pas prendre le risque de lui demander quel album elle voulait en particulier, elle me demanderait mon préféré, a moi, représentant des jeunes adultes en présence, et je n'aurais aucune idée de quoi lui répondre: ils étaient selon moi tous au même niveau. Bas. Il fallait dire que je ne supportais pas la voix des filles, en chant, pas par sexisme, seulement par peur de devenir sourd.

Deux minutes 23 secondes. Je n'avais qu'à annoncer le prix à ce dernier client, et a m'enfuir, laissant la place à Michel, mon collègue de 16 ans, un nouveau qui croyait toujours avoir déniché le meilleur job au monde. Belle blague. J'attendais seulement qu'il reçoive sont premier chèque de paie pour voir sa joie fondre d'un coup. « 28 et 97 monsieur. » Libération. Le client me tendis quelques coupures, je lui rendis la monnaie. Enfin. Fini. À moi le trottoir de l'entrée; le banc bleu où personne n'ose vraiment s'asseoir sauf les employés. Je pouvais enfin marcher droit devant, en direction de la porte d'entrée, tel un soldat marchant vers le royaume que son peuple a conquit. Je marchais d'un pas assuré, en respirant profondément. J'avais hâte, pire qu'un enfant devant ses cadeaux de Noël, de sentir l'odeur dégoutante des clopes. Je souriais intérieurement, à pleine dents, en plus. Je passai le département des vêtements pour femmes, puis les cabines d'essayage, je marchai a travers les friandises, puis je mis le pieds dans l'épicerie, me sentant de plus en plus impatient quand j'entendis quelqu'un, derrière moi. Ciel, pas une question, pas maintenant. Je me retournai, énervé. « Quoi? » Le sourire et la bonne humeur de mise quand l'on s'adresse à un client ne s'appliquaient pas là. On m'avait dérangé. J'étais techniquement en pause, et elle avait gâché le moment. Totalement.


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désolée, c'est PATHÉTIQUE