Parfois on se demande comment tout commence. Une rencontre, une bonne baise et une naissance. Sauf que dans mon cas, ce n'est pas une naissance mais deux. Oui, nous étions deux. Une fille et un garçon. Un frère et une sœur. Sauf que je dirai bien que Caïn a survécu mais c'est faux. Il est mort en bas âge alors que nous n'avions qu'un ou deux ans. Une maladie, un médecin incompétent et un décès. J'étais encore trop petite pour me rappeler de lui, de ses cheveux bruns ou même de ses yeux marrons qui ressemblaient étrangement aux miens. Et mon histoire ne commence pas à ce moment-là. Elle commence bien plus tard. Quand ma mère est revenue avec un nouvel enfant. Un autre garçon. Et qu'on m'a relayé au rang de second. Et pourquoi, laissez-moi vous l'expliquer et vous comprendrez.


Comme on pourrait le croire, je pourrais décrire mon enfance. Mais bon, mes parents n'étaient pas riches, ma mère était une immonde salope qui allait se faire engrosser par le premier venu. Mais ce n'est pas ça le plus important. C'est que quand j'étais jeune, je me taisais. Je n'ai rien dit à personne sur mon attirance pour les garçons, les infidélités de ma mère, mon père qui se comportait comme un gros débile et qui ne voyait pas que cette femme qu'il aimait le trompait. Non. Je me suis tus jusqu'à temps qu'elle franchisse la porte avec Joshua. Elle qui avait juré qu'elle ne ferait plus d'enfant, qu'elle ne s'y reprendrait plus. La voilà avec un autre marmot. Qui n'était pas brun, ni blond, mais roux. Déjà cela aurait du mettre la puce à l'oreille. Mais non, mon père continuait à se comporter comme un con. Et puis l'enfant a grandi. Et elle l'aimait plus que moi. Normal, ce petit con était le fils de l'amour tandis que moi, beh, je n'étais que celui du mariage. Le gamin se croyait tout permis. Il se pavanait devant moi, tout content, trop heureux de faire ce qu'il avait à faire. Mais je n'en avais rien à foutre. J'étais au-dessus de ça. Je le regardai en mâchouillant mon chewing-gum, jouant avec mes copines mais il a fallu qu'il lise mon journal intime. « Ouuuuuh, tu es amoureux de Neal, tu es amoureuse de Neal. » Pauvre tâche. Il est allé le répéter et bam. La claque dans la gueule, les hurlements d'une mère hystérique parce que j'avais touché à son précieux – ouais, comme dans le Seigneur des Anneaux – et une bonne punition en prime. Quand mon père est venu me voir, après que je me sois faite décolorer les cheveux pour la première fois et qu'il s'est posé sur mon lit. « Qu'est-ce qui se passe, Angel ? » Ah ce prénom que je déteste tant. Je l'observe, le fusille du regard même. « Putain mais tu vois même pas que c'est même pas ton gosse, t'es trop débile ou quoi ? » Et là, c'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Les hurlements suivent, les objets qui volent. Vous savez comment on appelle ça ?


J'ai fait divorcer mes parents. Mais il avait qu'à être moins débile aussi. Il n'aurait pas épousé cette bitch et on en serait pas là. Je n'avais que huit ans quand il a décidé de déménager aux Etats-Unis. Super! Bon allez, on y va. Bordel, je suis Irlandaise moi. Pas américaine. Mais il a du juger bon de recommencer une nouvelle vie dans un nouveau pays. Ce qui dit, un nouveau lycée et de nouveaux amis. Ouais, ou presque, hein.


« Salut, comment tu t'appelles ? » Je relève doucement la tête, endormie sur mon cahier de mathématiques avant de lever les yeux vers le nouveau venu. « Je m'appelle va te faire foutre, ça te va ? » Il ne discute pas. Je suis ici depuis quelques mois et je n'arrive pas à m'acclimater. Je ne dirai pas que ma mère me manque. Heu, non. Je dirai même qu'elle peut aller cramer en Enfer mais je déteste ce foutu pays. Les gens ne mangent que des hamburgers, ils sont tous gros. Les filles me dépriment. Elles sont tellement superficielles, à tromper leurs copains avec le copains de leurs copines et à me faire des remarques sur mon look. « T'es au courant qu'on est plus au couvent ? » Je me retourne et je la fixe. Oui, j'ai un look particulier et alors ? « T'es au courant que ton mec te trompe avec ta meilleure amie ? » Et là, c'est ce qu'on appelle une bagarre générale. Et cela sera comme ça pendant tout le secondaire. Chouette. J'adore. Seule une fille sera sympa avec moi. Elle s'appelle June et elle est un peu plus âgée. J'apprendrai bien plus tard que c'est parce qu'elle est lesbienne et espérait me mettre dans son lit mais, bon, je ne suis pas le genre qui va la blâmer. Je ne suis pas trop mal comme fille. Et puis, c'est une grande ville. Donc je reste auprès d'elle, étant cataloguée comme étant une lesbienne aussi du coup mais je m'en fichai. Ce n'est pas que je m'attendais à tomber sur lui mais quand même. Il était là. Le nez toujours fourré dans ses bouquins, à se faire charrier par les autres. Puis un jour, j'étais assise sur un banc au loin quand je le vis se faire bousculer. Le pauvre garçon. Je me lève et marche donc vers lui pour ramasser un livre. Il relève la tête et je lui souris doucement. « Je crois que c'est à toi. » Une façon bien singulière de faire la conversation mais je n'allais pas lui demander si de but en blanc, il voulait baiser avec moi. Puis au fur et à mesure, j'abandonne peu à peu June pour passer du temps avec lui, avec Oliver. Il était sympa pour un américain. Et on est devenus amis, confidents, meilleurs amis et puis au fur et à mesure, amants. Ce n'est pas avec lui que j'ai fait ma première fois mais on va dire que j'étais sincèrement amoureuse de lui. Il était gentil, prévenant mais justement ce besoin de stabilité m'a fait peur. J'ai eu peur à cause de ce qui était arrivé à mon père. Même si nous étions bien tous les deux. La lâcheté dont j'ai fait preuve, me hantera à tout jamais.

« Dis est-ce que tu m'aimes ? » La question est pourtant simple. Nous étions ensembles depuis mes dix sept ans mais on ne se le disait pas assez. « Bien sûr. » Nous venions de fêter nos deux ans de relation et on dit souvent que les gens ne pensent pas le cap des deux ans. C'est vrai. Pourquoi ? Parce que je me suis retrouvée à vomir mes tripes un matin dans les toilettes, que lui me tenait les cheveux et que je ne savais plus quoi faire. « Tu es malade ? » Oui, mais ne t'inquiètes pas, tout sera fini dans neuf mois. J'étais enceinte. Depuis peu. Le bébé ne devait avoir qu'une ou deux semaines et je me mis à réfléchir. Est-ce ça que je voulais ? Vivre avec lui ? Avoir des enfants alors que je n'avais même pas commencé à vivre ? J'ai pris peur. J'ai trouvé la bague et j'ai pris peur. Sans rien lui dire, j'ai pris mes affaires et je suis partie. Avec un bébé dans le ventre. Ne lui laissant qu'un petit mot. Moi d'ordinaire si franche, je ne savais pas comment faire pour lui dire que j'avais peur. Que j'avais besoin de prendre du recul. Et ce bébé, j'allais en faire quoi ? Je suis donc allée voir le médecin pour faire une échographie. « Vous êtes enceinte de sept mois mademoiselle. » Pardon ? Moi qui pensais que le bébé était là depuis moins longtemps que ça, j'étais enceinte de sept mois. Je ne pouvais donc plus avorter. Fuck! Je regarde donc autour de moi, désemparée avant de prendre mon téléphone. « Papa, j'ai besoin de ton aide. » Allez, direction, une petite ville perdue. Avant que je me mette à habiter avec Oliver, mon père habitait avec nous, à Santa Fe mais maintenant, il avait décidé de se la couler douce dans une petite bourgade perdue et je suis allée le rejoindre. Bien entendu, dès que j'ai appris ma grossesse, mon ventre s'est mis à grossir. Et mes seins aussi. Mais cela n'a pas d'importance.

Quand je suis arrivée, mon père m'a fait les gros yeux. Oui, j'avais oublié de lui préciser qu'il allait devenir grand-père. « Oliver est au courant ? » Je fais un signe de dénégation avant d'aller m'assoir et de prendre ma tête entre mes mains. « J'ai besoin de temps pour réfléchir. » Tu parles que j'avais besoin de temps. Deux mois ont passé et j'ai fini par accoucher. Une beau petit garçon charmant. Oui, mise à part le fait que ma mère a réussi à avoir une fille, on a tous que des gamins dans la famille. « Tu vas l'appeler comment ? » Je repose la tête, trop fatiguée en disant qu'on verra ça demain mais une semaine après, le bambin n'a toujours pas de prénom. « On ne peut pas l'appeler croquette ? » Mon père rigole avant de voir que je regarde l'enfant en pleurant presque. J'avais fait une connerie d'abandonner le père, je le pressentais. Mais bon, ainsi va la vie. Je ne vais pas le rappeler et lui dire « Reviens, je t'aime. J'ai fait une boulette. » Non, non, il faut assumer ses actes. Le bon côté est que j'avais gagné en poitrine; le mauvais, je ne savais toujours pas m'occuper d'un enfant. « Appelons-le Lonàn. »


Trois mois après. Lonàn grandit bien. Mon livre a été publié et extrêmement controversé pour la peine qu'il y a beaucoup de caractères sexuels dedans et je n'ai pas repris contact avec Oliver. Je suis surement trop lâche. Quoi qu'il en soit, je n'étais surement pas prête à élever mon fils seule mais ma meilleure amie, une femme enceinte avec qui je me suis liée d'amitié m'aide beaucoup. On est toutes les deux dans la même merde. Célibataires et avec un enfant – à naître pour elle, et vivant pour moi. Je ne sais pas comment gérer ça jusqu'à temps que mon père arrive et me dise « J'ai appelé Oliver. » De temps en temps, il m'arrive d'avoir des flashbacks, des sensations bizarres mais je chasse tout ça parce que ses drôles de rêves ne sont pas franchement joyeux. Je suis écrivain, je suis connue – bon pour avoir écrit un bouquin porno, certes – et j'ai un magnifique petit garçon. Bon, je suis un peu célibataire et tueuse de mecs – avec les mots – mais à ce que j'ai vu de ces songes, je n'étais pas grand chose. Alors oust. Et viva la vida!

Comment est-ce que font les grands écrivains pour raconter ? Comment dois-je commencer la mienne ? Par un prologue, à la Bella Swan pseudo ennuyeux qui donne envie de se tirer une balle dès le début du bouquin ou un truc qui y va net. Salut, je m'appelle Angel. Selon ma mère, je ne ferais pas un bon écrivain. « Mets toi à la danse. » « A la musique country » « Au mannequinat. » On me répète souvent que comme je suis belle, je n'ai même pas à faire des études. Mais non merci. Est-ce que ma mère savait que je serai aussi mignonne, il y a presque dix huit ans ? Alors qu'elle ressemble de plus en plus à un sharpei et mon père, beh, c'est mon père quoi. Il est beau, il le sait et ne manque pas de vendre ses charmes aux jeunes femmes, jeunes hommes. On ne sait même plus de quels bords il est le pauvre. Quoi qu'il en soit, mon histoire comme toute histoire. Comme un bon truc à la Gossip Girl. Ouais, c'est comme ça que je devrais commencer. Dans un truc à la Gossip Girl. Sauf que non en fait. On pourrait dire que je suis venue au monde, une belle nuit d'hiver où les gens chantaient des cantiques de Noël « Nuit belle nuit... » Non, ça c'est dans la belle et le clochard. « Il est né, le divin enfant. » Heuuu. Ouais. Sauf qu'il y a un problème. Je suis née juste après Noël. En fait, j'ai même été le premier / dernier bébé de Noël de l'année. Les médecins étaient tellement beurrés qu'ils n'ont même pas été d'accords pour l'heure. Voilà comment ça commence. Par un taux d'alcool assez élevé. Bonne année mille neuf cent quatre vingt quatorze les gens. Ouais, faisons péter les cotillons et le champagne. Et j'ai pointé ma petite tête blonde. Parce que j'étais blonde à la naissance. Techniquement, je le suis encore mais je n'aime pas trop cette couleur qui me fait passer pour plus superficielle que je ne le suis alors, je me suis teinte en rousse et je passe mon temps à me faire des tatouages malabars parce que les vrais, c'est ringard, rien ne vaut les malabars. Les malabars, c'est cool. Et que je suis moi-même cool.

Enfin donc, je suis née. Et je ne sais pas si ma mère avait trop bu elle aussi, ou si elle est vraiment dévote mais elle a tenu à m'appeler Angel. God, non! Pas ce nom ridiculus. On n'est pas dans Harry Potter où ça sonnerait super bien Poux du Lard. Non, bien au contraire. It's the real life Mommy. Mais heureusement mon second prénom est à peu près normal. Donc, je dis à tout le monde que je m'appelle Eden. Sauf que quand on me demande ma pièce d'identité, on se fout de moi. Déjà parce que je ne suis majeure. « Oh regardez comme elle est cute, la petite Eden. » Ouais, ouais, c'est ça t'as raison, shut up mémé. Enfin quoi qu'il en soit, ma mère styliste et mon père, homme d'affaires qui prétendait vendre des trucs mais en vendait d'autres j'étais servie. Trainée dans les défilés comme une poupée, un boulet, dans les diners d'affaires par que j'ai une bouille angélique, j'ai appris le concept du sourire forcé dès mon plus jeune âge. « Souris Eden, parce que tu as une frimousse vraiment adorable. » Oh merci. J'ai passé toute mon enfance à me faire pomponner et je vous passe les détails. Londres, mère patrie de la mode, ma mère se plaisait bien là bas. Mais on ne fait pas toujours ce qu'on veut dans la vie. J'en sais quelque chose. Je ne suis pas très grande comme nana, alors j'ai suivi la dispute cachée dans un coin, ne saisissant que la moitié des termes. Huit ans, voilà l'âge que j'avais.

« Non, nous ne déménagerons pas. » Ha, ça je l'avais bien saisi. On allait ailleurs. Au revoir London et bonjour le pays des rustres et des cheeseburgers. Un taux d'obèses et de mères enfants élevés. Les États-Unis. Le pays qui vous vend soit disant du rêve. Moi, je dis c'est une publicité mensongère. Surtout quand on emménage dans une ville aussi naze que la Nouvelle-Orléans. Je me souviens encore de notre ancienne maison, le paysage était encore pas trop mal. Là, j'ai l'impression de vivre dans la débauche H24. Je me mets sur le balcon de notre appartement et je vois des poivrots déambuler dans la rue – d'ailleurs cela a même déteint sur mon père – des prostituées qui viennent voir les honnêtes hommes pour leur proposer leurs services. A l'école, les gamines fumaient dans les toilettes, prenaient leurs premières cuites avant l'âge de quatorze ans et baisaient bien avant leurs seize ans. « Comment ça, tu es encore vierge ? » Quoi, c'est une tare ? Je vais crever si je ne la perds pas à mes dix huit ans ? Pas grave, une retraite en moins et une. Quoi qu'il en soit, une seule personne à tout compris. Il a décrit cet environnement à la perfection dans son putain de pavé qui est long à démarrer mais pas mal. Bon, il date hein. Et j'attends le second mais je porte à croire que ce connard n'a pu en écrire qu'un. Certes, je ne mâche pas mes mots. Mais je me retrouve à être tout ce que je déteste, c'est-à-dire une fille mère. En effet, je viens de donner naissance à Caïn après avoir malencontreusement baisé avec un mec que je ne connaissais pas. Oli quelque chose. Il ne connait pas son fils, je ne veux pas qu'il le connaisse. Alors, je planche sur un livre mais finis par tomber dans une dépression, la cigarette, l'alcool puis le grand trou noir.