Brooke est une fille brillante. Elle excelle, et tout le monde l'adore. à Santa Fe, elle est une femme considérée comme fatale. Toujours montée sur des talons, elle a une démarche féline qui fait tourner la tête des hommes. Et pourtant, elle est en couple. Son fiancé, Julian, est l'homme que toutes les femmes rêvent d'avoir : beau, charismatique, riche, brillant, puissant. Et pourtant, il n'a que vingt-quatre ans, comme elle. Tous deux vivent dans un superbe appartement de Santa Fe. Leur relation, c'est la routine. Un baiser furtif sur les lèvres le matin avant de partir au travail ou à l'université, un baiser de bonne nuit le soir, mais jamais rien de plus. En société, ils semblent être plus amoureux que jamais. Mais Brooke ne le ressent pas comme ça. Elle a l'impression qu'elle ne l'aime pas comme elle devrait l'aimer. Certes, ils sont heureux, il est merveilleux. Mais il n'y a rien de passionnel dans leur amour. Plus de surprises, plus de joies ni de moments à deux. Rien ne les rapproche, alors que pourtant, tout devrait. Ils se ressemblent tellement.. Mais rien ne colle. Elle reste, parce qu'elle sait que c'est là qu'elle doit être, à tenir le bras de ce jeune investisseur. Mais pour tout dire, il lui arrive parfois de penser qu'il existe plus fort que ça, et quand elle y pense, son cœur bat la chamade. Elle ne sait pas pourquoi. Et puis, il lui arrive de se retourner dans la rue sur des hommes, qu'elle croit connaître, alors que non, elle ne les connaît pas, et ne les a même jamais vu.

Elle ne connaît pas sa famille. Et elle ne cherche pas à la connaître. C'est étrange, et elle le sait. Mais quand elle pense à retrouver des personnes qui sont liées à elle pour l'éternité de cette manière, cela ne lui inspire que du dégoût. Elle finit par balayer l'idée d'un revers de main, et passe à autre chose, avant que le sujet lui revienne en tête, tard le soir, quand le réveil fait défiler les minutes sans qu'elle puisse y faire quoi que ce soit. Et puis lorsqu'elle se réveille le matin, le même train-train se remet en place : elle va se doucher, regarde la cicatrice qu'elle a sur la hanche sans se rappeler d'où elle vient, maquille ses yeux, choisit une tenue, et une paire de stilettos dans son dressing, puis pars, sac sur l'épaule, jusqu'à l'université, où elle étudie le journalisme. Elle y met tout son cœur, a des résultats excellents, mais s'ennuie. Comme si la voie dans laquelle elle était ne lui était pas destinée. Comme si elle avait besoin de plus que ça. Une seule chose lui plaît dans son cursus : la géographie. Lorsqu'on lui montre Paris, ou Dublin, elle sourit, parce qu'elle arrive totalement à s'imaginer vivant dans l'une de ces villes. Elle sent les odeurs, ferme les yeux et entends les bruissements de conversations susurrées au bout d'une rue. Comme si elle pouvait déjà imaginer le futur. C'est presque magique. Et puis, il y a son petit secret : tous les soirs, elle passe devant un bar. Un bar particulier, puisque c'est un bar burlesque. Une envie la démange : y entrer. Lorsqu'elle imagine ces femmes danser en toute liberté, elle ne peut s'empêcher de les envier. Mais elle ne sait pas danser, alors elle ne veut pas se décourager. Elle finit toujours par passer son chemin et par rentrer, se blottir dans une couverture devant la télévision, ou de vieilles séries américaines passent parfois. Le générique, elle le connaît par cœur, c'est comme un automatisme. Elle comprend les personnages, comme si elle les connaissait. C'est ce qu'elle aime là-dedans, et c'est la raison pour laquelle elle passe outre la niaiserie des histoires.

Au final, tout est tracé et elle le sait. Dans un ou deux ans, elle se mariera sûrement avec Julian, qui lui fera porter une robe magnifique de grand créateur pour l'occasion. Elle deviendra sûrement journaliste, peut-être même reporter. Ce serait sympa, de voyager. Et puis elle aura sûrement des enfants, qui n'auront pas de grands-parents ou de tantes. Ces projets l'ennuient. Mais elle sait que c'est ce qu'elle doit faire. Comme si une petite voix la soumettait à ne pas faire de vagues. Elle n'ose pas, elle n'a jamais osé. Mais si elle pouvait, elle quitterait tout. Elle a l'impression qu'il y a quelque chose derrière tout ça. Elle a l'impression qu'elle n'est pas à sa place. Comme si quelqu'un l'avait déposée là, dans une vie qui n'était pas la sienne. Et puis il y a ces gens qui scandent qu'il est arrivé quelque chose. Ces histoires sont insensées, mais Brooke ne peut s'empêcher de les écouter. Elle sait qu'elle essaie juste de trouver une réponse à son mal-être. Mais.. et s'ils avaient raison, aussi folles leurs hypothèses soient-elles ?

Brooke Princeton-Cohen est née en plein mois de mars à Bluewater, en Arizona. S'il faut tout dire, il est nécessaire de préciser qu'elle n'était pas désirée. Jack Princeton et Birdie Cohen étaient déjà les parents de six enfants, trois filles, et trois garçons qui étaient tous brillants et se destinaient à des carrières qui continueraient à dorer l'arbre généalogique. Et puis il y a eu cet accident, un septième enfant qui grandissait dans le ventre de sa mère, et un mauvais pressentiment de la part de tout le monde. Lorsque la petite dernière a montré le bout de son nez, tout le monde a compris qu'elle ne serait pas comme les autres. Aussi blonde que ses ainés étaient bruns, elle apparaissait aux yeux de tout le monde comme le vilain petit canard. Cependant, dés ses premiers jours à l'école, elle a fait honneur à sa famille en étant une petite fille au comportement exemplaire, et aux résultats brillants. Elle était une petite fille appréciée de tout le monde, mais rejetée par ses frères et sœurs qui estimaient qu'elle n'avait pas sa place parmi eux. Le fait qu'elle n'ai pas été prévue les rendaient froids et distant, et elle passait donc le plus clair de son temps enfermée dans le grenier, dénichant des souvenirs, des objets anciens appartenant à sa famille. Il faut dire que les Princeton n'étaient pas n'importe qui. Ils étaient la famille la plus riche d'Arizona, et l'une des plus riche du pays. Entre les réceptions et les cocktails, ils cultivaient l'admiration de leurs voisins et rivaux. Ils préféraient ne pas amener la jolie Brooke, qui grandissait loin de tout cela. Ils préféraient de loin exposer leurs fils, Peter, Randy et Shane, qui s'étaient lancés respectivement dans des études de médecine, de droit et d'économie. Leurs filles, Jeannie, Mary et Jessica, avaient toutes trois de beaux projets de mariage en vue. L'honneur était définitivement gardé. Mais décidés à tout prix à expulser Brooke de cette vie qu'ils choyaient, ils décidèrent de l'inscrire dans le lycée le plus fréquenté de la ville, afin qu'elle se fonde dans la masse et qu'elle ne fasse pas de vagues. Malheureusement, leur instinct était plutôt mauvais, et en plus de foutre leur honneur en l'air en passant pour une famille indigne, ils offrirent à leur fille le moyen de détruire tout ce qui lui restait de bonté et d'amour.

On ne pouvait pas dire que Brooke faisait partie des filles populaires, au lycée. Elle était une fille courtisée, qui était appréciée, mais n'était pas franchement une reine. L'année de sa première, elle fit une rencontre qui bouleversa sa vie. Sous les conseils de sa mère, elle avait pris l'option français, enseignée le midi, pour élargir ses capacités. Option qui n'avait pas beaucoup de succès, manifestement, puisque seuls trois élèves s'y étaient inscrits. Il y avait Candice, la blondinette complètement barrée qui était toujours là pour faire rire la galerie, mais qui ne se sentait pas pour autant bien dans sa peu. Il y avait Brooke, bien sûr, calme, réfléchie, studieuse, et francophile jusqu'au bout des ongles. Et puis il y avait Matthew, ce mec que personne n'allait voir parce que tout le monde le trouvait super-weird. C'était le genre à se poser dans un coin tous les midis pour manger son sandwich, en se foutant complètement du regard des autres. Il avait toujours son casque sur les oreilles, comme s'il était attaché à sa tête. Brooke s'était souvent demandé comment on pouvait rester comme ça. Jamais elle n'aurait imaginé que ce soit un choix. Et pourtant. Au tout début, rien ne rapprochait nos trois camarades, mais peu à peu, les choses changèrent. Brooke se rapprocha d'abord de Candice, qui se révélait être une fille bien, derrière ses airs de pince-sans-rire. Elle devint l'acolyte de cette fille hors du commun, dont personne ne cherchait à voir les qualités et les avantages. Cette fille était merveilleuse, parfaite. Personne n'avait jamais compris Brooke aussi bien qu'elle, étant donné qu'elle était elle aussi la digne fille d'une famille réputée. Les parents Princeton se félicitèrent d'avoir engendré cette amitié particulièrement pratique en affaires, en poussant leur fille à prendre cette option. Les deux jeunes femmes, elles, se foutaient de tout, et prenaient un malin plaisir à faire les idiotes et à traîner tard ensemble, sans que leurs parents ne disent quoi que ce soit. Et puis quelques semaines après leur soudaine amitié indéfectible, Brooke, qui avait compris que les apparences n'étaient qu'idioties, tenta un premier pas amical vers le jeune homme qui partageait leur classe. Il ne sembla pas entendre ses efforts pourtant, puisqu'il ne se retourna même pas vers elle. Ce ne fut qu'au bout de quelques minutes que la brune comprit qu'il avait des écouteurs dans les oreilles. Elle n'hésita pas à lui en arracher un, et il se retourna si brutalement donna l'impression d'être en colère. Quand il vit qui avait osé le sortir de sa rêverie, il haussa les sourcils en soupirant. "Qu'est-ce que tu veux ?" lui dit-il, sèchement. Brooke fut surprise par cette barrière qu'il avait soudain mis entre eux. "Oh, ça va", commença-t-elle, "Je voulais juste parler un peu, mais tu n'as pas l'air disposé à le faire, alors je vais m'en aller et te laisser tranquille en tête à tête avec ton sandwich". Cette réplique, aussi simple soit-elle, fit sourire le jeune homme, qui leva les yeux au ciel. "D'accord, d'accord. Si t'es gentille, je jouerais pas le mec sec et brutal avec toi. Mais seulement si t'es gentille." Une chose était sûre, le retournement de situation avait été particulièrement rapide. La jeune femme trouva ça louche, avant de comprendre, lorsqu'il lui expliqua, quelques jours plus tard, qu'il avait été aussi gentil avec elle uniquement parce qu'il avait vu l'autocollant du groupe the veils sur son agenda, et parce qu'elle avait un paquet de gâteaux au chocolat dans son sac. Tout aurait pu s'arrêter là, mais bizarrement, les trois nouveaux francophones se prirent d'amitié les uns pour les autres, et les filles, lâchant les amis qu'elles traînaient depuis des années derrière elles, commencèrent à traîner avec the weird guy, malgré les regards perçants. Ils sont vites devenus incollables les uns sur les autres, connaissant les manies de chacun, les goûts de chacun, traînant jusqu'à des heures matinales dans le plus grand secret dans leur endroit préféré, le square. Cette jolie histoire dura des mois. Puis il y eut ce jour qui changea tout. En mieux. Candice avait du rentrer pour un gala de charité, et Brooke et Matthew avaient du rester seuls à la bibliothèque pour terminer leur exposé sur Verlaine et Molière. Mais il leur était impossible de travailler, ensemble, même quand ils tentaient de se mettre aux extrémités opposées de la salle. Ils revenaient toujours l'un vers l'autre en racontant une connerie. Lorsqu'ils entendirent la femme de ménage arriver, ils voulurent même lui faire une petite surprise en lui faisant croire qu'elle était seule, espérant lui bondirent dessus en criant. Sauf que la femme ne ménage n'était pas venue pour faire le ménage, mais pour fermer la porte à clé après avoir vérifié qu'il n'y avait personne. Les deux adolescents se retrouvèrent comme deux idiots, enfermés dans la bibliothèque. Au début, cela a eu pour résultat de les faire mourir de rire. C'était complètement fou. Ils se sont finalement assis, ont commencé à vraiment parler, partageant une petite barre de chocolat toute la nuit. Brooke avait laissé son portable dans son casier, et bien que Matthew avait un téléphone, ils décidèrent d'un commun accord de passer la nuit à commenter leurs dernières lectures, leurs derniers films vus au cinéma, et ils parlèrent même de Candice. Brooke pensait Matthew amoureux de Candice, à vrai dire. Et pour dire totalement la vérité, elle était un peu jalouse. Non pas qu'elle était amoureuse de Matthew -se disait-elle-, mais parce qu'elle aurait du mal à voir ses deux meilleurs amis tomber dans les bras l'un de l'autre. Ce fut une nuit magique, merveilleuse, qui détermina les deux années suivantes, puisqu'à la fin de la nuit, lorsque le lycée fut ouvert par les premiers arrivants, et qu'ils durent se faufiler pour sortir sans se faire remarquer, il la retint par le poignet derrière un casier, et après quelques minutes d'hésitation, elle l'embrassa, avant de s'enfuir en courant, ayant peur de la réaction de son meilleur ami. Elle revint quelques heures plus tard pour son premier cours, honteuse de ce qu'elle avait fait. Elle avait fait ça sans l'avoir prémédité. Mais heureusement pour elle, Matthew ne semblait pas avoir trouvé ça déplacé, puisque après leur cours ensemble, alors que Candice était partie devant, il la retint, et, se cachant, lui redonna un baiser. C'est ainsi que commença leur histoire d'amour. C'était un risque, ils le savaient. Une histoire entre eux deux était totalement impossible. Brooke venait de la famille la plus riche d'Arizona, tandis que lui habitait la périphérie de Phoenix avec sa mère, qui galérait en tant que serveuse, et sa petite sœur. Jamais les Princeton n'auraient accepté que leur fille fréquente un garçon de si petite condition. Brooke eut soudain l'impression de se retrouver dans un roman, dans un film au scénario retraçant l'histoire d'un amour impossible mais passionnel. C'était trop gros pour être vrai, et pourtant, ça l'était. Car Matthew n'était pas une passade, oh non. Elle l'aimait plus que tout au monde, plus que tout. Il était son nord, son sud, son ouest et son est. Ils se voyaient chaque nuit en secret, s'embrassaient furtivement quand ils le pouvaient. Leur histoire était difficile, mais ils s'en foutaient. Seule Candice avait été mise dans la confidence, et elle les couvrait pratiquement tout le temps. Elle adorait ça, être l'agent du couple.

Leur histoire a duré les quatre ans que dure le lycée aux États-Unis. Quatre merveilleuses années, sans un seul nuage. C'était un amour passionnel, fusionnel, intarissable. C'était eux contre tous, bien que tout soit secret. Et puis tout a basculé un soir de décembre, alors que la neige tombait sur la jolie ville de Bluewater. Matthew a frappé à la fenêtre de Brooke, est monté, et lui a dit ce qu'elle n'aurait jamais voulu entendre : il en avait marre de se cacher, elle allait partir dans une grande université alors que lui allait rester ici, leur histoire était voué à l'échec. Il voulait aller de l'avant, et laisser leur histoire derrière lui, disait-il. Brooke, anéantie, l'a renvoyé sans ménagement, le visage strié de larmes. Elle avait l'impression de sentir son cœur explosé, et pendant des jours, elle ne réussit pas à prononcer un mot, et séchait les cours. Quels qu'ils soient. Ses parents décidèrent de l'envoyer à Harvard, où elle était inscrite depuis quelques années déjà à la vue de ses résultats et de sa place dans la société. Ils l'avaient inscrite en fac de droit. Mais il était hors de question pour elle de les écouter encore une seule fois dans sa vie, alors dés qu'elle pu partir, elle le fit, sans laisser de mot. Si seulement elle avait su ce qui s'était réellement passé..

Elle commença par l'Irlande. C'était un pays magnifique, qu'elle avait toujours voulu visiter, et elle ne se priva pas de tout essayer. Elle passa la majorité de ses soirées dans ses pubs, traversant toutes les traditions qu'elle connaissait, séduisant les hommes à chaque coin de rue avant de les laisser en plan comme de pauvres idiots. Elle adorait ça, faire du mal autour d'elle. C'était comme si elle se vengeait du mal que lui avait fait Matthew, en détruisant les autres. Elle se foutait de tout. La débauche et les conneries, c'était son truc. Elle y resta près de trois mois, avant de filer en Angleterre, où elle rencontra une jeune femme du nom de Beth, fille d'une famille riche elle aussi, en train de fuir les traditions. Elles arpentèrent les rues du Royaume-Uni, écumant les concerts, finissant leurs nuits avec de nombreux musiciens célèbres. C'était un vrai délice pour les deux blondes de foutre leurs vies en l'air. Mais bien vite, Brooke se rendit compte que ce n'était pas la vie à laquelle elle aspirait. Elle fit sa valise sans bruit et quitta l'hôtel où elle logeait avec Beth. Elle prit le train pour la France, le cœur battant. Elle savait qu'elle aurait dû éviter ce pays, qui lui rappelait Matthew. Mais elle devait faire face à ses démons, et débarqua à Paris avec le sourire au lèvres. Elle obtint un poste a la bibliothèque, où elle rencontra une vieille dame fascinée par l'histoire médiévale de la France, et avec qui elle apprit de nombreuses choses sur le pays et sur la vie en général. Cette femme, madame Lacroix, était douce, et elle aida la jolie Brooke à arrêter les grosses conneries qu'elle s'appliquait à faire. Elle lui fit comprendre que lorsqu'on avait une vraie famille, la vie était différente, et elle devint comme sa mère de substitution. Pendant près de huit mois, elle resta avec elle, l'aida dans tout ce qu'elle entreprenait. Mais le destin repris ce qu'il lui avait donné, et la mort emmena sur ses grandes ailes la famille qu'elle avait retrouvée en cette femme. Ce fut une deuxième grande perte pour la jeune femme qui fut anéantie par la disparition. Elle hérita de tout ce que madame Delacroix avait laissé derrière elle : sa fortune, sa maison, ses souvenirs. Mais Brooke ne put se résoudre à rester en France. Elle avait besoin de s'éloigner pour s'en sortir, et elle disparut encore de la circulation, laissant tout son héritage et promettant de revenir un jour. Elle s'enfuit en Italie, où elle fut recueillie par une femme d'une quarantaine d'années, passionnée d'histoires d'amour, Elle travailla avec elle à l'office de tourisme, où elle rencontra un jeune homme de bonne condition, Augusto, qui ne tarda pas à devenir son amant. Ils passaient des heures, enfermés chez elle. Elle appréciait d'avoir quelqu'un qui lui montre le monde, qui lui redonne goût aux plaisirs de la vie. Durant ces quelques mois, elle cessa d'être froide, prise d'amour pour la chaleur du pays, fragilisée par la disparition de madame Delacroix et la présence d'Augusto qui la rendait plus confiante de jour en jour. L'Italie était merveilleuse, et elle aurait pu y passer sa vie si elle n'avait pas compris qu'Augusto commençait à avoir des sentiments. Elle ne voulait pas d'une telle chose, puisqu'elle savait que les sentiments de l'italien ne seraient jamais réciproques. On lui avait volé son cœur pour toujours, elle ne pouvait plus aimer, elle en était incapable. Fidèle à elle-même et à sa manie de fuir, elle fit de nouveau ses bagages, et s'envola cette fois vers la Russie. Elle n'eut pas de mal à trouver un travail, dans un bar dansant, et elle se plut à observer ces femmes qui avaient tant de grâce et de beauté. La patronne, une ancienne danseuse étoile qui approchait de la soixantaine, avait compris son attrait pour la danse, et lui proposa de lui apprendre à danser, si elle était prête à lui consacrer trois heures par jour. Brooke n'ayant rien d'autre à faire, elle dit oui. Au bout d'un an, elle était devenue une danseuse exemplaire, prête à concurrencer un bon nombre d'étudiantes en danse de ce pays. Comme si elle était née pour faire ça. Elle se découvrit une passion pour la danse, certaine qu'elle avait enfin trouvé ce qu'elle voulait faire. Elle entra dans l'une des écoles les plus réputées du pays, faisant l'admiration de ses professeurs. Mais la rigueur ne lui plaisait pas, et elle fut rejetée par ses camarades de classe qui estimaient qu'une américaine n'avait rien à foutre là. Elle avait le talent pour entrer au ballet, mais la sensation d'être mise de côté comme quand elle était petite la fit redevenir froide comme un roc. Elle quitta une nouvelle fois le pays dans lequel elle vivait à la recherche d'une nouvelle vie, d'une nouvelle chance à saisir.