« Est ce que vous vous rendez compte des conséquences de vos actes ? » Je baisse les yeux, plaçant mes mains sous mes cuisses, mordillant nerveusement ma lèvre inférieure en écoutant sans vraiment distinguer chaque phrase le sermon que le doyen me passe. J'entends la respiration saccadée de ma mère à mes côtés, mains crispées sur son sac à main de seconde zone. O maman, si seulement tu avais eu la thunes, t'aurais pu faire comme tous ces autres gosses de riches, t'aurais payé le silence, t'aurais payé pour qu'on foute la faute sur mes connaissances et j'aurais été tiré d'affaire. Elle tente une parole, finalement noyé par une sorte de gémissement, incapable de trouver un moyen efficace pour prendre ma défense. C'est foutu ; je me suis fait prendre, fin de l'histoire. On allait me renvoyer dans ma Santa Fe natale dans le meilleur des cas. « … L'outrage commis envers notre établissement. Vous avez sali la réputation de votre famille monsieur Kinberg, et la notre. » La panique de ma mère semble s'être transformée en désespoir qu'elle laisse éclater dans un sanglot pitoyable. La honte, oui je la ressens. Pas par la faute commise envers les miens ou l'université ; plutôt le fait de mettre fait avoir aussi facilement. Des fausses promesses, on m'avait fait miroité un semblant de bonheur sous les yeux. Totalement fictif, mais auquel on veut croire de toutes ses forces. Faible et détestable, c'était les seuls mots que je pouvais trouver pour me décrire actuellement. J'avais toujours été ce genre de personne, manipulable, prête à s'accrocher à n'importe quelle idée tant qu'il appartenait à un groupe. Les autres rassurent. Se sentir comme attaché à un clan. On est tellement plus serein qu'en clébard esseulé. Gamin déclaré surdoué dès son plus jeune âge, j'avais toujours été mis de côté. Collège passé en vitesse grand V, deux années de lycée et une place en or à des kilomètres de Santa Fe : Harvard m'avait ouvert les portes de son pôle de chimie. Un ami, un seul. La club des loosers, le duo de joyeux Einstein, trop pauvres pour être rentré grâce au nom, brillant par une intelligence et des capacités presque sans limites. Mark et moi, nous savions tout des atomes, molécules, et les dérivés. Scientifiques trop terre à terre sûrement, pour entrer dans la masse. Et Jessica était arrivée, avec ses yeux verts son sourire resplendissant et les mèches longues et blondes de ses cheveux encadrant sa poitrine tout juste dévoilée sous ses polos aux quelques boutons ouverts. Jessica, la déesse, l'intouchable, l'impensable était venue nous trouver. Fraternité, le club au dessus, passer de la clic du looser à la classe au dessus. Ce qui l'intéressait chez nous ? Nos talents. Et pouvoir lui fournir un crystal des plus purs sans avoir à courir après n'importe quel dealer. C'était le deal ; adulé pour qu'ils puissent, elle et sa "bande", se défoncer en beauté dans leurs appartements privés. Funny business qui nous avait éclaté à la gueule. Balancé, renvoyé. Fin de l'histoire, sans plus de cérémonie. Le génie mis au trou.

Bobby McQueen, c'était un type comme les autres, le mec ni trop intelligent, ni bête comme ses pieds, issue de la working class et galérant pour obtenir une place à la fac. Alors Bobby, comme pas mal d'autres futurs heureux étudiants de notre État, il c'était construit une cuisine. Faire de la meth dans un garage, ou dans une espèce de caravane sur un terrain reclus, t'en vois de plus en plus. Acheter au gros, des revendeurs qui pêchent leur came en Asie etc., ça fait perdre du temps et de la thunes à tout le monde. Alors Bobby avait eu l'idée du siècle : celle de faire comme les autres. Son cousin, Stephan lui en avait parlé il y a de ça quelques mois : Les gens achètent plus facilement de la meth, ça leur revient moins cher que de la coke pour s'envoyer sur d'autres planètes le temps de quelques heures. Alors le fils McQueen, il avait trouvé le bon filon, il c'était dit qu'il s'en mettrait plein les poches. Il a volé ce qu'il pouvait dans les salles de chimie du lycée, et il a tout foutu dans sa cuisine. Par ordre de grandeur, chronologique aussi pour que ça fasse plus propre et sérieux. Il avait tout préparé Bobby, tout semblait parfait. Ballons de Kjeldahl, un masque pour se protéger la gueule, des fioles erlenmeyer à col étroit et d'autres à col large … Il avait tout Bobby, un véritable atelier de petit chimiste, perdu sur un terrain vague de Santa Fe. La seule erreur qu'avait commise Bobby, c'était d'oublier le bouchon. Quand t'as obtenu ta méthylamine, tu couvres, tu laisses pas le gaz s'échapper. Quelques secondes de trop, un allumette craquée pour préparer le ballon de chauffe dans son installation de merde … et « BAM. Un traînée de poussière Bobby. » J'éclate de rire, Alcide arquant un sourcil, la lèvre inférieure tremblant légèrement en me regardant gesticuler, mon petit manège. Faire ma cuisine. « T'es sûr de ton truc Joy ? » Je hausse les épaules, attrape une coupelle remplie de phosphore pour la poser sur la balance, verse le tout dans mon ballon. Rapidement, avec comme par automatisme, j'attrape un masque, le place sur mon nez, mes lèvres, et en balance un dans la direction d'Alcide. « Tu vas le savoir dans deux secondes. » […] « Bordel Joy t'es un génie. Un putain de génie. » Pince entre les doigts, Alcide attrape un des bout de crystal, le soulève jusqu'à ses yeux pour observer. Semblant d'euphorie qui se devine chez lui, sa tête tourne successivement vers ce qu'il a en main, puis de mon côté. Un génie, répété encore et encore. « Du pur crystal, comme du verre mec. » Il repose le bout avec les autres, s'avance vers moi pour passer sa main dans mes cheveux, les ébouriffants en laissant échapper un cri de joie. « Presque pur mec, presque. » Fier de moi, je sors de la cuisine, mon pote sur les talons, pour me griller une Marlboro. Autre erreur souvent commise : poser une source de chaleur autre que celles prévues près des ingrédients. Bam, une erreur et c'est la fin pour tout le monde. « Où t'as appris à faire ça ? On va devenir riche Joy, on va pouvoir la mettre profond aux types du quartier Est. » Pour l'avoir profond, ils allaient la sentir passer. Je tire une longue latte sur ma clope, jetant un coup d'oeil en arrière. Comment je savais faire tout ça ? Absolument aucune idée, ça m'était venu tout seul. La recette qui défile dans un coin de mon crâne, les mains qui bougent dans un automatisme méticuleux. Sûr de moi, sûr de ce que je faisais et sans une once de montée d'adrénaline, pour à la fin, me retrouver avec un produit chimiquement stable, pur à plus de quatre vingt pour cent. Talent innée, je n'en sais rien, mais mon produit était sûrement le meilleur du marché actuel. Pour toute réponse, je me tourne vers Alcide, levant mon index pour tapoter doucement ma tempe, sourire et clope fumante aux coins des lèvres. Du génie mec, cherche pas à comprendre.